Chroniques sentimentalo-musicales
10 Janvier 2019
Cela ne vous aura pas échappé : j’éprouve une certaine attirance pour l’œuvre de David Bowie. Ce ne fut pas toujours le cas. La principale raison réside probablement dans un livre que j’ai lu en 1978 intitulé « Les poètes du rock » (1975), écrit par Jean-Michel Varenne. Ce dernier présente les grandes figures du rock (Dylan, Hendrix, Beatles, Jim Morrison, Kinks, Who, Zappa, Barrett, Bowie, Rolling Stones, etc.) par leurs aspects poétiques.
Au chapitre Bowie, Varenne a écrit : « Une carrière fondée sur le vide, la copie, l’imitation, propulsée par des moyens financiers énormes ». Connaissant fort peu Bowie à cette époque, je conclus qu’il n’y avait pas lieu de s’attarder à l’écoute d’un personnage aussi peu intéressant et retournai me désensabler les esgourdes à grand coups de Deep Purple, Led Zeppelin, Pink Floyd, Who et j’en passe…
Ce n’est que quatre ans plus tard que le hasard des rencontres fit que je fus initié à la poussière d’étoiles en entrant par la grande porte que sont les albums « The rise & fall of Ziggy Stardust…« et « Aladdin Sane ». La suite, vous la connaissez, depuis le temps que je vous bassine avec mes salades sur le sujet.
Une première conclusion que j’en tirai fut que ce n’est pas parce que quelque chose est écrit dans un livre que c’est la vérité. Ce n’est pas nouveau, il suffit de lire la Genèse pour s’en persuader. Cependant, il y en a toujours qui croient que le Monde a été créé de la manière racontée dans la Bible. Comme quoi, les fake news, ce n’est pas d’hier, et pas besoin de réseaux sociaux pour les diffuser.
Bowie copieur ? Oui, trois fois oui, au premier degré : sauf qu’il n’a jamais caché ses sources d’inspiration pour les comprendre, les digérer et en faire toute une série d’univers musicaux, avec l’aide de producteurs et de musiciens hors pair (Ronson, Eno, Visconti, Gabrels, etc.).
Reprocherait-on à Johannes Brahms d’avoir écrit sa première symphonie « inspirée » (le mot est faible) de la neuvième de Beethoven ? Le reste de son œuvre est la preuve de son génie.
La carrière musicale de Bowie est émaillée de reprises d’artistes plus ou moins connues. En 1973, il commence à être célèbre suite à la sortie de l’emblématique « The rise & fall of Ziggy Stardust and the spiders from Mars«. Dans l’album suivant (Aladdin sane »), il reprend « Let’s spend the night together » des Stones qui, à mon avis, n’est pas une réussite (Il faut dire que l’original a un tel swing que l’on voit mal comment le transcender).
La rupture arrive six mois plus tard : Bowie sort « Pin Ups », constitué uniquement de reprises.
Au dos de la pochette, il explique qu’il reprend ses chansons favorites de la période 64-67, composées par les groupes qu’il allait voir sur scène au Marquee ou ailleurs, comme par exemple les Yarbirds, Pink Floyd, Who, Kinks, etc. Ma préférence va à « Friday on my mind » des Easybeats.
L’original :
https://www.youtube.com/watch?v=3iW2_Ec3uEU
La reprise :
https://www.youtube.com/watch?v=f7heEHFfjkU
Je ne saurais dire laquelle a ma préférence : la fraicheur de l’original ou la sophistication de la reprise.
Dans « Young Americans » (1975), il chante « Across the Universe » de Lennon. Je n’aime pas du tout ce que Bowie en a fait. Puis en 1989, au sein de Tin Machine c’est « Working class hero », du même géniteur. Une version très électrique à l’image de ce qu’il jouait à cette époque avec Reeves Gabrels et les frères Sales. Ces deux chansons sont mes préférées de Lennon.
Pour ce qui est de la reprise d’ »Amsterdam » de Brel, j’en ai déjà parlé (voir http://hallospaceboy.over-blog.com/2018/10/brel-et-aznavour-le-b-a-ba-de-la-chanson-francophone.html ).
Sur l’album « Heathen » (2002), il reprend « Cactus » des Pixies. Cette chanson figure dans l’album « Surfer Rosa » paru en 1988 (On y trouve aussi le fabuleux « Where is my mind »). L’original, pour génial qu’il soit, est à mon goût si mal enregistré que c’en est du gâchis :
https://www.youtube.com/watch?v=8w8NgvDf4aM
Pour sûr, l’ingé son devait être autant défoncé que les musiciens…
J’adore la version Bowie. Noyez-vous dans cet univers complètement trash et fétichiste :
https://www.youtube.com/watch?v=Te2-zTHSzCk
I miss your kiss and then I miss your head
[…]
Run outside in the desert heat
Make your dress all wet then send it to me
[…]
So spill your breakfast and drip your wine
Just wear that dress when you dine
[…]
Bloody your hands on a cactus tree
Wipe it on your dress and send it to me
Tout un programme…
Ceci étant dit, les deux artistes qui l’ont le plus inspiré en termes de reprises sont sans aucun doute Iggy Pop et Lou Reed. Il faut dire que sa collaboration avec ces deux zigs est allée bien plus loin : Bowie a participé aux albums d’Iggy Pop « The Idiot » et « Lust For Life », sortis tous deux en 1977. Il a produit « Transformer » de Lou Reed.
Côté Iggy Pop :
Bien sûr, on connait tous « China girl ». Je vous renvoie à ce que j’ai écrit à ce sujet il y a un an : http://hallospaceboy.over-blog.com/2018/01/david-bowie-de-boys-keep-swinging-a-china-girl-de-la-suite-dans-les-idees.html
On trouve sur l’album « Tonight » (1984), outre la chanson éponyme, trois autres chansons cosignées par Iggy Pop : « Don’t look down », « Neighborhood threat » et « Tumble and twirl ».
En 1987, sur « Never let me down », il reprend « Bang Bang ».
L’original : https://www.youtube.com/watch?v=Bovo1IuboMA : du brut de fonderie, à la manière de l’Iguane.
Pour ce qui est de la version de Bowie, je ne résiste pas à vous orienter vers l’extrait du « Glass spider tour », avec une mise en scène au millimètre, qui me renvoie à un soir de juin 1987 à Gerland : on était 25 000 sur orbite :
https://www.youtube.com/watch?v=w30yMnhGadE
À la guitare, c’était Carlos Alomar et Peter Frampton : excusez du peu…
Côté Lou Reed :
Sauf erreur de ma part, Bowie n’a repris aucun titre de Reed ou du Velvet Underground sur album, mais il lui arrivait fréquemment d’en reprendre sur scène, en particulier :
« Waiting for the man » :
Version Velvet, sur l’immense « Velvet Underground & Nico » :
https://www.youtube.com/watch?v=EwdH09vJwwU
Les deux compères, au concert des 50 ans de Bowie :
https://www.youtube.com/watch?v=W4VEXl4vsq4
Et ma préférée « White light / White heat » :
Version Velvet :
https://www.youtube.com/watch?v=62ckXALWn1M
Ça sent la défonce à plein nez.
En mai 1972, Bowie l’enregistre à la BBC :
https://www.youtube.com/watch?v=X8wQdyMzu0I
Le génial Mick Ronson a transformé sa six cordes en lance-flamme et la rythmique nous offre une progression fantastique.
Onze ans plus tard, sur le « Serious moonlight tour », la star qui a conquis la planète revient à ses racines :
https://www.youtube.com/watch?v=51O7MT3rUpo
Il y a les cuivres, les chœurs et, pour finir, un solo infernal de l’époustouflant Earl Slick.
Sur l’ »Outside tour » de 1996, Bowie ouvrait son rappel sur ce morceau. Cette tournée était à l’image de l’album « 1-Outside », avec une atmosphère particulière, très lourde (je vous en ai déjà parlé : http://hallospaceboy.over-blog.com/2017/04/all-the-madmen-david-bowie-une-folle-fraternite.html ).
Ce « White light / White heat » qu’il nous a envoyés un soir de 1996 à Lyon, je l’ai encore dans les oreilles et dans les yeux. Voir ci-dessous, filmé à la même époque. C’est Gabrels à la guitare :
https://www.youtube.com/watch?v=NKNCe8QP2w8
White light goin', messin' up my brain
White light, it's gonna drive me insane
White heat, it tickles me down to my toes
Trois époques, trois versions, trois mondes…
En conclusion, le génie de Bowie réside non seulement dans ses compositions, mais aussi dans sa capacité à habiller et adapter toute la musique qu’il aime. Monsieur Varenne, moi aussi j’aurais aimé avoir une carrière comme celle-ci, « fondée sur le vide, la copie, l’imitation ».
Just for one day…
We miss you, Major Tom.
Sérézin – le 10 janvier 2019